SURFUSION

La surfusion, j’ignorais ce mot alors que je connaissais ses effets au travers des récit des braconniers (il n’y avait pas de chasseurs sous l’occupation). Imaginez d’infortunés palmipèdes migrateurs, attirés en fin de journée par la surface miroitante d’un étang des Dombes, comment peuvent-ils se douter que cette couche liquide (due à la fusion partielle de la glace qui recouvre l’eau de l’étang) est déjà, dans le calme du soir, repassée au-dessous du fatidique 0° et n’attend que la perturbation de leur arrivée pour se figer instantanément en un piège qui les retiendra jusqu’au milieu du jour suivant, ou bien pire, jusqu’à l’arrivée des braconniers, avides de protéines, en ces temps d’extrême disette. Je vous passe la récolte à la serpette. Je n’en ai qu’entendu parlé, mais j’espère cette pratique disparue, la chasse avec armes est déjà bien assez cruelle.
Ma première rencontre avec ce mot et sa signification, rencontre scolaire cette fois, ne tarda pas et me permit de refaire moi-même l’expérience classique du tonneau d’eau (avec un seau de bois en guise de tonneau), si comme le prétend le poète le soleil était plus brûlant qu’aujourd’hui, je peux, moi, vous affirmer que les hivers étaient alors bien plus froids, ce qui me rendait l’expérience plus facile. La suivante fut avec cette courte phrase du « traité du feu et du sel » de Blaise de Vigenère, ceci bien longtemps avant de lire les œuvres (un peu envieuses) du Maître de Savignies.

        « De manière que qui voudroit prendre la patience de décuire le plomb en vn feu reiglé & continuel qu’il n’exceft point fa fusion, c’eft à dire, que le plomb y demeuraft toufiours fondu & non plus, y adiouftant quelque petite portion d’argent-vif, & de fublimé, pour le garder de fe calciner & reduire en poudre ; au bout de quelque temps on trouueroit que le Flammel n’a pas parlé friuolement, de dire que le grain fix contenu en puiffance au plomb, à fçauoir l’or & l’argent, f’y multiplieroient & croiftroient ainfi que le fruict fait fur l’arbre. »

Si nous précisions un peu les choses !
La définition tout d’abord : La surfusion est l’écart entre la température de fusion et la température (plus basse) ou le métal se solidifie de nouveau. La température de fusion est, elle, par contre toujours constante.
Pour le plomb, (métal cité par Vigenère) la présence d’oxyde réduit la surfusion, mais c’est l’inverse pour le bismuth par exemple.
La surfusion est très variable suivant les métaux (pris en masse), de 0° pour l’argent à plus de 250° pour le fer. En laboratoire, avec des corps hyper purs, on a exceptionnellement pu, pour le plomb, atteindre 45° et pour l’antimoine 80°.
L’influence de la composition du récipient, (creuset) peut être considérable, la surfusion de l’antimoine peut être supérieure de près de 80° dans l’alumine par rapport au quartz. Le pyrex (tenue maxi 555°C) sur lequel se dépose (adsorption) de l’oxyde, tend à purger le plomb d’une partie de son oxyde résiduel, ce qui est favorable.
Ce qui déclenche la solidification est la formation de germes dans la masse, il est donc préférable qu’ils soient totalement éliminés lors de la fusion préalable, d’où, pour le plomb, un maintien souhaitable pendant un temps de une ou deux heures à 50° au-dessus du point de fusion.
L’atmosphère au contact du métal joue un rôle non négligeable, l’or n’a pas de surfusion dans l’argon ou l’hydrogène, mais en a une pouvant atteindre 40° dans l’air ou l’oxygène. Le plomb a une surfusion plus faible dans l’hydrogène alors que l’antimoine n’est pas affecté par l’hydrogène ou l’argon. En conclusion, un vide poussé semble une solution préférable, (la tension de vapeur du plomb n’est que de 10-5 mm de mercure à 483°C ).
Pour l’antimoine, une baisse de température très lente augmente la valeur de la surfusion possible, ce qui n’est pas systématiquement le cas. La baisse de la température par paliers successifs permet également d’augmenter la valeur de la surfusion possible.
Sauf pour le verre, l’état de surfusion ne peut jamais être maintenu indéfiniment, il se forme toujours un germe de cristallisation. La présentation d’une infime partie cristallisée provoque également la cessation rapide de cet état. Les vibrations sont souvent nuisibles.
Pour retirer la première partie cristallisée, il faut verser le liquidus (pour faire croire que j’ai des restes de latin) avec précaution [photo 1 de fougères de plomb] ou à partir d’un petit cristal, tirer la partie en train de cristalliser [photo 2 de cristallisation de bismuth]. Dans les deux cas, un certain entraînement est indispensable.

        En conclusion, avec du plomb simplement tiré de la galène et non purifié, il convient de rester très près du point de fusion pour espérer faire durer quelque peu la phase liquide, berceau dans cet état métastable, des grains devenant de plus en plus gros au cours de l’opération (on contate à ce stade une élévation de la température, signe de la cristallisation). Comme dans n’importe quelle cristallisation, les premiers grains, ceux qui se sont assemblés et ont grossi sont les seuls à être réutilisables pour la surfusion suivante, en direction du cristal unique, plus souvent espéré qu’obtenu.

Une application moderne et courante de la surfusion est la réalisation de chaufferettes réutilisables. Elles sont composées d’acétate de sodium trihydraté en solution sursaturée dans de l’eau. Cette solution, refroidie à température ambiante, se trouve en surfusion. [Image 3].Il suffit de malaxer la pochette de liquide (il y a souvent dans le sachet une lame de métal qui, en générant un clic au pliage, produit le même effet) pour déclencher la cristallisation. [Image 4] La rupture de l’état de surfusion déclenche ainsi une importante réaction exothermique lors de la cristallisation, ce qui porte la pochette à 40-50 °C pendant une heure. Ensuite, un passage dans l’eau bouillante, suivi d’un refroidissement lent ou au réfrigérateur, replace la solution dans son état de surfusion pour un autre usage.

 

P. Melleret : pour Les amis de l’alchimie.