GUALDI FEDERICO

COMPOSITION DE LA MÉDECINE UNIVERSELLE

VENEZIA  1697.    —    PARMA  1704.
        Prenez du Sel nitre* raffiné, mettez-le à fondre lentement dans un vase de fer, et quand il est bien fondu, jettez dessus une très petite quantité, bien tassée, de charbon de bois doux, comme celui de Saule** ; lequel s’enflammera de suite et se consumera. Et il faut l’enlever peu à peu jusqu’à ce que le Sel nitre après la détonation soit fixé, ou durci, et qu’il ait une couleur un peu verdâtre ; ce qui arrive quand le charbon ne se soulève plus comme il faisait avant.
Ceci effectué, versez votre Sel nitre fondu dans un mortier de marbre bien chaud ; une fois refroidi, il restera blanc comme de l’albâtre, et fragile comme du verre. Passez-le au pilon juste après, et étendez la poudre sur une lame de verre ou sur une assiette de faïence, en l’ayant couvert par crainte de la poussière ; exposez-le de manière un peu inclinée à l’air, mais dans un lieu où le Soleil, la pluie ou la rosée ne puissent l’atteindre.
Mettez dessous un vase de verre, pour recevoir la liqueur huileuse, qui en coulera ; parce que l’humidité de l’air, en réduisant le Sel nitre en l’espace de quelques jours, vous trouverez 2 fois plus de poids d’huile que vous n’aviez de Sel nitre ; si l’opération a été faite en un temps adéquat, ni trop chaud mais tempéré et humide, pendant que celui-ci attirera le Sel nitre invisible que nous respirons avec l’air.
Cette huile, une fois rectifiée, est un très puissant menstrue, ou dissolvant pour extraire l’essence de chaque sorte de mixte. Prenez donc 4 ou 5 parties de cette huile rectifiée, et une partie du meilleur Antimoine***, lequel se reconnaît par une certaine rousseur, qui tire vers l’or, proche de la mine dans laquelle on le trouve.
Dès que l’Antimoine est réduit en poudre très fine sur le marbre, déposez-le dans un grand récipient de verre, et mettez l’huile de nitre par dessus. Il faut que les 2 tiers du récipient restent vides. Fermez bien le récipient, qu’il n’y ait point d’entrée d’air.
Mettez-le en digestion à feu doux, ou de lampe, jusqu’à ce que l’huile, qui surnage au-dessus de l’Antimoine, apparaisse de couleur d’or ou de rubis ; alors retirez votre huile, et l’ayant filtrée avec du papier, mettez-la dans un autre récipient de verre avec un col long, et versez dessus autant de très bon esprit de vin bien rectifié. Les 2 tiers au moins du récipient restent vides. Bouchez-le bien ; puis mettez-le en digestion à chaleur lente pour quelques jours jusqu’à ce que l’esprit de vin ait attiré toute la couleur de l’huile, ou teinture, de l’Antimoine.
Ainsi, l’huile de nitre restera très claire et blanche dans le fond, et au-dessus d’elle surnagera l’esprit de vin imprégné de la teinture d’or de l’Antimoine. Enlevez l’esprit de vin, et séparez-le par décantation.
L’huile de nitre servira toujours à d’autres opérations pour extraire l’essence de l’Antimoine autant de fois qu’on voudra.
Mettez votre esprit de vin dans un alambic de verre ; distillez-le doucement jusqu’à ce qu’il en reste dans le fond environ la cinquième partie qui contiendra en elle-même la teinture d’Antimoine. Ou bien distillez tout l’esprit de vin en ne laissant au fond que l’Antimoine.
Ainsi vous aurez, en liqueur ou en poudre, la Médecine Universelle avec laquelle on préservera et guérira toutes sortes d’infirmités ou de maladies. Si on s’en sert en liqueur, on en prendra 5 ou 6 gouttes dans le vin ou dans le bouillon, ou dans quelque liqueur appropriée à la maladie. Si on l’emploie sous forme de poudre, on en mettra 3, 4 ou 5 grains plus ou moins ; parce que si la dose est un peu plus importante, ou moindre, elle ne peut nuire comme font les autres médecines, qui sont toutes des poisons.
Les maladies se guérissent à la seconde, ou à la 3ème prise. Mais quand le mal est tenace, il faut augmenter la dose même à chaque fois, et c’est à faire 3 fois par semaine. Cette Médecine guérit les maladies les plus invétérées et les plus difficiles, comme la fièvre quarte, la fièvre erratique, l’hydropisie, et aussi le mal français et les maux consécutifs aux chutes. Cette Médecine universelle guérit non seulement toutes les formes de maladies intérieures, mais encore, appliquée sous forme de baume, celles extérieures comme les plaies, les ulcères, la gangrène. Elle guérit de même la surdité, et beaucoup de défauts de la vue, mais pas d’un oeil exténué et humide, comme j’en ai un depuis l’année 1666, ni de la goutte rassurante par laquelle j’ai perdu la vue de l’autre œil ; tout ça à cause du malheureux succès du poison du premier Artiste du célèbre scélérat Sainte Croix, pour se venger de l’avoir empêché, moi et Monsieur le Marquis de Saint André Mombrum, de fabriquer son poison dans des vases de verre hermétiquement scellés, dans la verrerie de Bosco Giset près de Nocle.
Mais toute la récompense que moi je retirais de ce grand service que je rendis à tout le monde c’est de constater que les amis du complot des ennemis du Genre humain avaient impunément violé toutes les lois, pour m’imposer le silence, me réduisant au dernier stade de l’illustre Bélisaire****.
Enfin, cette Médecine remédie rapidement à toutes les maladies de la tête, qu’elle réconforte, de l’estomac qu’elle fortifie, le rétablissant dans la vertu de bien digérer. Elle est un véritable or potable puisque celle-ci est la teinture aurifique de l’Antimoine, qui est la première essence de l’or.
Elle agit d’ordinaire par une transpiration discrète, souvent par la sueur et l’urine, rarement par excrétion, et très rarement par vomissement. Ainsi, en oeuvrant naturellement, et sans aucune violence, le malade n’est point affaibli comme par les autres médecines. C’est pourquoi on peut en donner à tous les âges, pour toutes les complexions et à tous les moments. Usez-en et faîtes-en part au public, et surtout à tous les pauvres, et bénissez Dieu, qui a créé la Médecine.
Federico Gualdi.                     

* – Salpêtre.
** -Du fusain par exemple.
*** – Stibine.
**** – Général byzantin, (505 – 565). Il s’illustra à la tête de l’armée sous Justinien premier, et accusé à tord de complot contre l’Empereur, eut les yeux crevés avant d’être réabilité.
Abbé Zoar,  Traduction de l’italien, Août 2005