LES MOYENS DE CHAUFFAGE DES ALCHIMISTES. I

Au cours des âges, les alchimistes ont utilisé pratiquement tout ce que la nature et leur ingéniosité ont mis à leur disposition.
      Tiédir sans feu : La chaleur corporelle des alchimistes et celle des animaux.

Feu dit de ventre de cheval : Fumier et chaux vive, fermentation etc.

Chaleur solaire : Réflecteurs et loupes, (pour la fabrication de verre d’antimoine par exemple).

Feu artificiel de bois : Il est réglé par le type des baguettes de bois employées, du peuplier au chêne en passant par les résineux. Leur grande dextérité permettait aux alchimistes, par l’alternance et la combinaison des types de bois d’obtenir (avec beaucoup de patience, et une présence permanente) une véritable régulation de la température.

Le texte ci-après est un exemple de soin apporté à ce type de feu.

Feu de genévrier.
      C’est un feu artificiel, continu, durable, au degré que tu voudras, que tu maintiendras deux ou trois mois, jusqu’à ce que tu découvres les charbons. Il te faut garder toujours ceux-ci couverts, et tu peux augmenter ou diminuer la chaleur à ton gré, en ajoutant une quantité plus ou moins grande de charbons enflammés. Avant tout, tu devras avoir des cendres en quantité suffisante, faites seulement de bois de genévrier. Tu auras alors une grande marmite d’argile, au milieu de laquelle il y aura une autre plus petite, qui est le creuset. En plaçant des cendres, tu mettras la grande marmite sur la chaleur du feu jusqu’à ce que la cendre elle-même s’échauffe, et ainsi tu mettras tout autour de la petite marmite, sur les cendres, des charbons qui ne seront faits eux aussi que de bois de genévrier.
Tu auras encore d’autres cendres chaudes du même bois que tu répandras sur les charbons susdits, et tu les recouvriras avec soin de leur cendre chaude. Et dans cette petite marmite, ou verre, tu mettras ta matière à digérer. Sur la grande marmite tu mettras un couvercle, et tu la mettras sur un banc ou sur une pierre, en évitant toutefois qu’elle ne subisse un dommage. En utilisant cette pratique, tu pourras préparer plusieurs feux de cette sorte. Tu pourras encore mettre dans la petite marmite de l’eau chaude ou un ventre humide de cheval et, dans celui-ci, le flacon de matière.

Charbon de bois :
Tu prépareras les charbons mentionnés ci-dessus de la manière suivante : coupe du bois de genévrier en petits morceaux, de la grosseur de deux doigts ou plus, mets-les dans une grande marmite bien fermée de tous côtés, bien lutée et pleine, mets cette marmite un jour entier sur un feu vif de four ou de flammes sortant du bois. Laisse-le ensuite refroidir, ouvre la marmite et tu auras ce que tu désires.
Pour ce qui est des cendres, brûle-les de la manière habituelle. Ce feu peut être un feu du premier ou du second degré pour la fixation des esprits.

Feu artificiel de charbon de bois :
La fabrication du charbon de bois a suivi rapidement l’utilisation du bois. Dans tous les textes où l’on parle d’enfouir le creuset dans les charbons, de recouvrir le creuset de charbon, etc. c’est de charbon de bois que l’on parle.

Feu artificiel de charbon de terre : Il était peu employé dans le passé, ce charbon est toujours explicitement désigné quand il est utilisé.

Ces différents feux sont employés aussi bien directement, en métallurgie, sous des creusets et des cornues, que sous des bains-marie. Ils permettent d’alimenter des fours d’un grand nombre de types, y compris des fours à céramique, puis à verre, permettant un essor du matériel, disons  » de chimie « .

Nous ne parlerons pas ici des feux modernes : Brûleurs à gaz ou résistances électriques, mais d’un autre type de feu artificiel, ancien mais toujours d’actualité, dont nous n’avons jamais parlé (ce qui sera fait dans le futur).

C’est un feu faible et régulier procuré par la combustion des huiles à l’aide de mèches.

À la suite d’expérimentations datant de plus de 20 ans, nous n’avons pas remarqué d’avantages, bien au contraire, à utiliser les procédés de purification (cités ci-après) pour les huiles. Cependant, pour vous permettre de juger, je vais refaire (sur de faibles quantités cette fois) les expériences, (je n’avais à l’époque pas pris de photos). Ces purifications avaient peut-être une raison d’être impérative à une époque où les huiles disponibles n’étaient pas filtrées comme de nos jours, sous haute pression.

La purification de l’huile a, en principe, pour but de réduire le dépôt de suie qui se colle sous vos récipients pendant le chauffage. Ce dépôt, s’il devient important, peut éventuellement prendre feu, il est donc impératif de surveiller sa présence, mais il est impossible de l’éviter totalement.

Premičre recette :
Prendre de l’huile de colza, ajouter 2 % d’acide sulfurique à 66° Baumé, agiter soigneusement. Aussitôt l’huile change de couleur et devient noirâtre. Au bout de 45 minutes d’agitation, ajouter 4 % d’eau bouillante et agiter 20 minutes. Laisser reposer 8 jours (en ayant encore remué le mélange pendant les premières 24 heures). Décanter l’huile et la filtrer sur charbon de bois.

C’est une recette qui semble relativement facile à réaliser. Ici, nous partons de seulement 400 cc d’huile de colza et de 8 cc d’acide sulfurique [Image 1]. Dès l’adjonction de l’acide dans l’huile, cette dernière fonce très rapidement (le temps de quitter gants et lunettes, il est déjà trop tard pour une photo intermédiaire convenable) [Image 2].
Pour l’agitation, il n’est, bien entendu, pas indispensable d’utiliser une machine à secouer les flacons, mais quand on en a une, il serait stupide de s’en passer. [Images 3 à 6]. Après les 45 minutes d’agitation, il est indispensable de filtrer l’huile sur coton bien tassé (opération très très longue).

      Par la suite, le flacon qui est teinté comme une bouteille de vin vieux [Image 7], peut demander d’être lavé à l’acétone pour ne pas avoir à user le Soleil avec liquide vaisselle et goupillon. Pour des quantités importantes, une bouteille de 1,5 litre de soda en plastique termine sa vie non lavée, dans les  » non récupérables  » de votre déchetterie.
L’adjonction d’eau bouillante se passe de commentaire, il suffit d’immerger une éprouvette (avec ou sans pied) contenant la quantité d’eau voulue, dans une casserole d’eau et de porter le tout à ébullition. Cette façon de faire permet de verser, dans l’huile, l’eau très rapidement sans qu’elle refroidisse. L’huile change de teinte provisoirement avant la deuxième série d’agitations. Mais impossible (pour moi !) de décanter quoique ce soit.
Pour la filtration sur charbon de bois (que l’on se procure en magasin d’aquariophilie), ou à partir de charbon pour barbecue que l’on sèche fortement au four avant de l’écraser au mortier (poser le mortier dans un sac en matière plastique et refermer le sac autour du manche du pilon pour maitriser les projections). On utilise un tube : tube électrique en matière plastique, tube de verre de gros diamètre, ou un entonnoir avec un peu de coton bien tassé dans le tube. Pour cette fois, j’utiliserai un tube de cuivre que j’ai sous la main, sachant qu’il y aura production d’un peu d’oléate de cuivre de couleur verte  » Cu (C18 H33 O2)2 « . Il est pratique de posséder un tube de compte-gouttes et de le loger dans un bouchon. On prévoit une ou plusieurs rondelles de coton (maintenues avec des épingles ou des punaises) pour éviter le passage des grains de charbon [Image 8]. Ce charbon retient une part non négligeable de l’huile lors de l’opération (très longue), [Image 9] ce qui en majore le prix.
Bilan de l’utilisation de cette huile :
Huile telle que vendue en magasin :
Le litre moins de 1,40 euro (2011). Consommation d’une mèche 120 ŕ 130 g par 24 heures. Tenue de la mèche 8 jours. Il est préférable de la changer tous les 4 ou 5 jours (pour avoir une flamme d’un pouvoir calorifique bien constant). Dans ce cas une boite de mèches d’environ 8 euros dure largement 2 ans.

Huile traitée :
Consommation 145 g  par 24 heures. Tenue de la mèche 5 heures seulement !

Deuxičme recette : (Elle nous vient de l’alchimiste Schwaeblé).

Prendre un kilo d’huile d’olive faite à froid, un kilo de sel marin décrépité, mettre le tout dans une cornue, mettre à la digestion pendant 4 ou 5 jours ŕ 100° maximum. Distiller à feu doux : il sort une huile blanche transparente comme de l’eau. Lorsque des veinules rouges montent en haut de la chape de la cornue arrêter la distillation. Cette huile blanche brûle à flamme bleue, elle a besoin de très peu d’O, elle dure la moitié de temps plus que l’huile d’olive ordinaire.

Pour l’huile d’olive, pas de problème, on peut s’en procurer de première pression à froid dans un magasin sérieux.

Pour le sel MARIN capable de décrépiter, c’est tout autre chose. Le sel NaCl, plus quelques traces d’iode, de magnésium etc. qui ne risquent pas de nous gêner est plus difficile à trouver. Le sel en question cristallise sous forme de trémie, elle-même composée de petits cubes qui sont des trémies plus petites [Image 10]. Une cristallisation comporte toujours la présence d’eau de constitution et d’eau d’interposition, c’est cette dernière qui, portée à ébullition lors de l’opération de décrépitation, fait éclater les cristaux.
Le meilleur sel de mer que vous pouvez vous procurer est celui qui est présent dans les tout petits creux de rocher, où l’eau de mer s’est évaporée. Comme vous n’êtes pas toujours en vacance, qui plus est au bord d’une mer, vous pensez d’office au sel de Guérande.
N’y pensez plus. S’il est gris, c’est qu’il contient une forte proportion d’argile (c’est un comble de vouloir s’en servir pour purifier !) du fait de son mode d’obtention. Si vous voulez tout de même vous en servir, il vous faut le dissoudre, le filtrer, l’évaporer, ainsi de suite 5 fois, et à la dernière le laisser cristalliser très lentement et ne récupérer que les premiers cristaux, moins de 1/2 du poids d’origine. Les cristaux, cette fois seront blancs et le nom de  » sel de Guérande  » ne conviendra plus.
L’image suivante [Image 11] vous montre un autre type de sel de cuisine que l’on trouve couramment dans le commerce, il ne décrépite pas car il est amorphe, c’est seulement un produit chimique concassé. Plus rien de comparable au sel naturel du passé. Le plus connu de nos marchands de sel en importe de mauvaise qualité de l’étranger.

      Pour en revenir à Guérande où l’on travaille encore artisanalement, les paludiers, quand la météo s’y prête, récupèrent délicatement la très fine couche de sel qui cristallise à la surface des marais salants, et qui ne touchant pas le sol (formé d’argile) est composée de sel parfaitement blanc (le sel de Maldon est du même type). Cette rare matière est vendue sous le nom de  » Fleur de Sel « , la photo, [Image 12] à faible grossissement, permet cependant de se rendre compte de la présence des trémies. On trouve cette fleur de sel par correspondance (port élevé) ou dans les magasins de produits bio, où le choix est plus restreint en conditionnement sans additifs, (plantes aromatiques diverses). Placé dans une casserole inox bien fermée par un couvercle, vous entendez parfaitement le sel décrépiter, puis le bruit cesse. En ouvrant, vous constatez que seulement une partie du sel s’est réduit en poudre. Vous devrez faire contre mauvaise fortune bon cœur et récupérer à la passoire à thé la partie fine. Les essais pour faire décrépiter le reste seront vains sans raison ! Le coût du sel augmente de ce fait fortement et sa couleur devient plus grise.

La mise en digestion vers les 100° C de l’huile et du sel pendant quelques jours, ne pose pas de problème [Image 13] à cette basse température. Par contre, (je n’ai pas voulu, pour cette expérience sans lendemain, remonter un foyer au charbon de bois) pour atteindre la température de distillation. J’ai dû ajouter un chauffage annexe, et fortement calorifuger le bain de sable posé sur une plaque de 1500 W.

      Le résultat est, cette fois non plus, non conforme au texte ancien, et l’huile est fortement colorée [Image 14].
Le coût de l’huile d’olive étant très supérieur à celui de l’huile de colza, il ne me semble pas utile d’esquisser un bilan financier de son utilisation, d’autant plus que la tenue des mèches n’est pas en faveur de l’huile d’olive distillée ou non (de l’ordre de 48 heures dans les deux cas).
      La consommation de l’ordre de 120 grammes par 24 heures de l’huile d’origine, passe à environ 160 grammes pour l’huile traitée.
Je m’en tiendrai donc à l’utilisation de l’huile de colza pour la suite.

Si une personne peut me donner des résultats illustrés différents, je me ferais un plaisir de les diffuser pour l’instruction de tous. 
Je ne prétends pas détenir la vérité, ni ne pas me planter lors des manipulations.

à suivre :

Paul Melleret : pour Les amis de l’alchimie.