LE SEL DE PLANTE

SUR NOS RAYONNAGES ON TROUVE : Du sel de plante .

      Si vous parlez à un chimiste de votre sel contenu dans les cendres des végétaux que vous venez de brûler, il vous dira : « c’est du carbonate de potasse tout simplement. » Il vous dira aussi qu’il est vendu sous le nom très impropre, mais traditionnel de potasse du commerce.
Si vous insistez, il vous demandera s’il s’agit de végétaux marins ou de certaines plantes du bord de mer, pour concéder que ce sel peut être un mélange contenant du carbonate de soude, voire du carbonate de soude (natron, neter) presque pur.
Pour un alchimiste, le carbonate de potasse (borith) s’obtient de la même façon. Il procède : soit à partir des cendres de végétaux terrestres carbonisés, qu’il conviendra de faire sécher préalablement, (par exemple le romarin) [image 1], soit à partir de la plante épuisée par une extraction alcoolique (qui s’enflamme facilement), ou bien par carbonisation du tartre des tonneaux [image 2] (opération qui peut demander 10 jours).
      Les cendres contiennent un mélange de carbonates avec des sulfates, (potasse chaux et soude) des chlorures, (potassium et sodium), du phosphate de chaux, du silicate de potasse, de la silice, des acides (tartrique, oxalique, acétique), etc.
Heureusement pour nous, tous ces corps ne sont pas également solubles dans l’eau. Le carbonate de chaux, le phosphate de chaux et la silice sont pratiquement insolubles.
Nous ne recherchons pas, contrairement aux chimistes un carbonate pur, mais un sel naturel de plante contenant tout ce qui fait la spécificité de la plante (ou partie de plante) que vous avez choisie, et à cette saison précisément.
Si vous aviez voulu un carbonate presque pur, il aurait fallu passer par sa transformation en bicarbonate KHCO3 qui en cristallisant est pratiquement pur. Le montage est simple, fabrication d’acide carbonique, (un acide sur un calcaire donne du gaz carbonique CO2) que l’on fait barboter dans une dissolution de notre sel à épurer, dans de l’eau. Au contact de l’eau le CO2 devient H2CO3 qui se combine avec votre carbonate pour en faire du bicarbonate. Par la suite, on le transforme en carbonate par une ébullition prolongée. 
Les alchimistes utilisent le carbonate de potasse tiré de tous les végétaux, les spagyristes se limitent à l’utilisation de celui de la vigne et des plantes et des herbes dites médicinales. Mais pour ne pas avoir à revenir sur le même sujet, nous allons inclure dans nos réflexions le chêne dont la cendre occupe pour certains une grande place, (dans la voie du cinabre par exemple).

 » Il faut que tu saches que le tartre des philosophes n’est pas le tartre commun, pour ouvrir nos serrures ou secrets, mais c’est un autre tartre ou sel qui vient toutefois d’une même racine. Et c’est une de nos clefs secrètes pour ouvrir tous les métaux, laquelle se fait ainsi :
Fais une lessive de cendres de sarments de vigne qui soit la plus forte que tu pourras. Puis fais-la cuire et bouillir jusqu’à siccité entière. Et il ne restera au fond du chaudron qu’une matière luisante, laquelle tu feras réverbérer à feu de flamme l’espace de trois heures, la remuant et agitant continuellement avec quelque verge de fer, tant que la matière soit devenue fort blanche. Après dissous cette matière dans de l’eau de pluie distillée, laisse rasseoir les fèces et filtre ta dissolution. Puis dessèche-la doucement dans des vaisseaux de verre jusqu’à siccité. Et ainsi tu auras le vrai tartre ou le vrai sel de tartre des philosophes, duquel l’on peut tirer le véritable esprit. «    Dernier testament. Basile Valentin.

Le rendement en cendre et en sel des végétaux est très variable, de l’un à l’autre et également suivant la partie de la plante utilisée.
Une « simple indication » : pour 100 kg de végétal sec, on récupère environ :
La cendre, suivie du sel. En kg, (donc aussi en %).
— Fougère 3,6 – 0,42 —   — Vigne 3,4 – 0,55 —   — Saule 2,8 – 0,29 —   — Chêne 1,4 – 0,15 —

A propos de l’allégorie du chêne creux ou pourri, il nous faut signaler que dans son cours de chimie, Nicolas Lefèvre (décédé en 1669) indique que le bois pourri ne fournit aucun sel fixe.

Nous avons précisé, « simple indication », car le pourcentage de cendre peut être cinq fois plus élevé dans les feuilles que dans le tronc d’un arbre. La fougère peut donner jusqu’à 6 %, le chêne ne rendre que 0,55 % ou près de 1,7 %.
Dans l’exemple du chêne ci-dessus, le sel récupéré (0,15 % de sel pour 1,4 % de cendre) représente 10,7 % de cette dernière. Un de nos essais avec 1,2 kg de cendres lessivées par 20 lites d’eau (à température ambiante) n’a rendu que 85 grammes de sel, soit 7,08 %. Il est vrai que nous aurions pu poursuivre le lessivage et accepter d’évaporer le double d’eau pour augmenter un peu la récupération.

Marche à suivre :
Il faut disposer d’un stock de cendres [image 3] accumulées au cours du travail sur les plantes, (relire les articles).

      Comme la quantité est faible, surtout si une partie a déjà été prélevée pour d’autres expériences, il est presque obligatoire de faire de la cendre uniquement destinée à la préparation du sel. Comme cette plante sera brûlée il n’y a pas de précautions à prendre pour la faire sécher. Pour le chêne, la cendre prélevée dans votre cheminée ou celle d’un ami conviendra très bien, mais elle risque de ne pas être des plus blanches. 
À ce sujet, la cendre de certaines plantes peut être très blanche après un passage à seulement 350 °C (à l’air) alors que pour d’autres il faudra le double, sans dépasser 800° (pour ne pas risquer d’obtenir un verre).
À titre comparatif, nous nous somment livrés à des mesures pour savoir l’influence de la blancheur de la cendre sur son contenu en sel, (nous avons pris celle de chêne).
Premièrement les cendres pesées, (100 g) ont été mélangées et agitées très souvent dans 4 kg d’eau de pluie à température ambiante pendant 48 heures. 
Après filtrage, [image 4], les mesures de pH censées refléter la teneur en alcali (ou al kali, de la plante Kali qui en Egypte était utilisée pour produire ce sel) donnent : cendre blanche 10,52 et cendre grise 10,62, donc pratiquement le même résultat. Il est bien entendu possible d’utiliser plus d’eau et de l’utiliser chaude, mais ainsi nous avons déjà un petit dépôt sur le filtre. Augmenter la masse d’eau à évaporer par la suite ne semble rentable que si l’on ne dispose que de peu de (précieuses) cendres à traiter.
Donc, on dispose généralement d’une grande quantité de liquide à pH voisin de 10, qu’il s’agit de refiltrer très soigneusement. Si le liquide est coloré de façon sensible, il est possible, avant filtrage, de « coller » la solution en y incorporant un peu du produit utilisé par les vignerons pour clarifier leur vin, ou d’y ajouter un peu de blanc d’œuf battu, ou du noir animal (une demi cuillerée à soupe de noir animal par litre), on agite bien et on filtre [image 5]. Ces produits retiennent les particules teintées qui ne traversent ainsi pas le filtre mais rendent cette opération beaucoup plus lente. De toute façon, le sel pourra être blanchi par une calcination ultérieure. 
      La solution filtrée sera réduite par évaporation. Les vapeurs de cette solution sont très agressives pour le verre des ballons [image 6]. En effet, les alcalis s’unissent à la silice du verre pour former des silicates solubles, par contre les bases n’agissent pas sur le fer des récipients.
Nous préférons maintenant utiliser les nouveaux plats en silicone alimentaire [image 7]. Ils permettent de chauffer un peu au dessus de 100 °C sans problème, pour activer si on le désire cette évaporation. 
      Le dépôt obtenu est toujours plus ou moins coloré même si après la filtration la dissolution semblait incolore. Donc, en fin d’évaporation, on se retrouve avec un sel faiblement coloré que l’on passe au mortier avant de le mettre en cave. La poudre passe en déliquescence, et, sur une surface faiblement inclinée, génère une solution huileuse d’aspect (l’eau des anges) que l’on filtre à nouveau. La liqueur claire est ensuite évaporée pour obtenir un sel pratiquement blanc.
Il faut noter que cette eau des anges, comme on dit, est semblable d’aspect, mais non identique au point de vue de ses vertus alchimiques, à celle que l’on obtient de la même façon avec du carbonate de potasse du commerce.
Nous avons testé rapidement la filtration  » à la mèche  » largement pratiquée par les Anciens. La mèche trop courte s’est révélée peu efficace, [image 8]. Nous n’avons pas essayé la méthode moderne consistant à utiliser un fil de laine blanche, de plus d’un mètre, logé dans un tube en matière plastique (dans le but d’éviter le séchage de la mèche).
Le sel obtenu en final est très blanc [image 9] et n’a pas été passé au four. Cette opération de blanchiment est à utiliser avec précaution dans un récipient non émaillé et exige une surveillance pour ne pas vitrifier le sel. Il faut rester à la plus basse température possible assurant la carbonisation à l’air des impuretés.

Les Amis de l’Alchimie.