L’EAU RÉGALE

SUR NOS RAYONNAGES ON TROUVE : De l’eau régale .

L’eau régale, dans l’esprit des apprentis alchimistes, résonne d’une façon toute particulière : on pense Eau Royale (aqua regia) comme au bon vieux temps, et on associe l’or à cette pensée.
Revenons à la pratique. Cet acide nitro-muriatique, comme il fut nommé à une certaine époque où l’acide chlorhydrique ‘le fumant’ s’appelait acide muriatique ou esprit de sel, est tout bonnement le simple mélange d’une mole d’acide nitrique et de trois moles d’acide chlorhydrique. Ce mélange attaque certains métaux grâce à la formation de chlore. L’or se retrouve sous forme de chlorure AuCl4.
On pense que la découverte des propriétés de ce mélange peut être attribuée, dès le IXe siècle, à l’alchimiste arabe Geber (Jâbir ibn Hayyân, mort presque centenaire en 815 à Koufa en Irak). À cette époque les proportions variaient légèrement suivant les auteurs.
Ce qui fit la renommée de ce mélange vraiment royal, c’est qu’il jouit de la propriété, n’appartenant à aucun de ses deux constituants, de dissoudre les métaux inattaquables par tous les autres acides. Ni l’or, ni le platine, et nous pouvons ajouter le rhodium et l’iridium ne lui résistent. Une bonne eau régale n’attaque cependant pas l’argent, (nous n’avons pas eu l’occasion de contrôler).
Si on s’en tient au rapport 3/1 au niveau molaire, il nous faut calculer la proportion en volume correspondante.
Exemple :
Dans un litre d’acide nitrique HNO3 à 60 %, de densité 1,375, il y a 40 % d’eau soit 400 g et donc (1375 – 400) = 975 g d’acide. Le poids molaire de l’acide nitrique étant de 63,01 on a 975 / 63,01 = 15,47 moles d’acide par litre.
Dans un litre d’acide chlorhydrique HCl à 37 %, de densité 1,19, il y a 63 % d’eau soit 630 g et donc (1190 – 630) = 560 g d’acide. Le poids molaire de l’acide chlorhydrique étant de 36,46 on a 560 / 36,46 = 15,36 moles d’acide par litre.

Pour avoir 3 fois plus d’acide chlorhydrique que de nitrique, il faut donc 15,47 x 3 = 46,41 moles soit 46,41 / 15,36 = 3,02 litres.
Soit pratiquement 3 fois en volume. Donc, pour faire par exemple 100 mL d’eau régale il suffit de prendre 25 mL d’acide nitrique et 75 mL d’acide chlorhydrique.

Nous avons, bien entendu, longuement choisi ces concentrations au hasard. Si vous disposez d’autres acides vous pouvez refaire très facilement ces calculs, en sachant que :
L’acide nitrique à 52,5 % a pour densité 1,325
L’acide nitrique à 65 % a pour densité 1,4
L’acide nitrique à 68 % a pour densité 1,405
L’acide chlorhydrique à 30 % a pour densité 1,15
L’acide chlorhydrique à 32 % a pour densité 1,16
Ces chiffres sont légèrement variables d’un fournisseur à l’autre, ce qui est sans importance, car on a des exemples extrêmes où la proportion d’acide chlorhydrique citée, par rapport à l’acide nitrique va de 2 à 4 fois.
On site une eau régale industrielle composée de 1 part d’acide nitrique à 35° Baumé et 4 parts d’acide chlorydrique à 22° Baumé. 

En pratique :
Il faut protéger ses yeux, son circuit respiratoire avec un véritable masque à gaz et non un masque à poussière, et ses mains sachant que les gants peu épais en latex ne résistent que brièvement au contact de l’acide. Il n’y a pas de réaction violente, mais évitez les microgouttes sur les vêtements. Le mélange incolore au début prendra lentement une coloration jaunâtre par la suite,[image 1]. 
Travailler sur de petites quantités, et de préférence à l’air libre, à cause du dégagement de vapeurs rutilantes et des projections de microgouttes d’acide accompagnant les vapeurs.
Le bécher sera entouré d’eau y compris par en dessous, ici par l’utilisation, [image 2] d’un lit de billes, (un morceau de grillage fait le même usage) pour empêcher un échauffement.

       L’échauffement est très faible (pratiquement négligeable dans notre cas), mais nous insistons pour que ce mode opératoire d’usage général qui peut un jour sauver vos yeux vous soit familier.
On verse dans l’ordre, d’abord l’acide chlorhydrique dans le Bécher, puis, ensuite l’eau de refroidissement dans le récipient qui entoure le Bécher (ceci pour éviter la flottaison du Bécher quand il est encore vide), et en dernier l’acide nitrique. Aussitôt faite, l’eau régale sera transvasée dans un flacon coloré et muni d’un rodage graissé. Mais !
 CE FLACON NE SERA PAS IMMÉDIATEMENT FERMÉ, car l’interaction des ions demande du temps pour se faire et générer le chlore qui est le véritable agent actif du mélange. On le coiffe d’une feuille de matière plastique (fixée par un bracelet de caoutchouc et percée d’un gros trou d’aiguille), en le laissant à l’extérieur à l’abri du soleil. Après 4 jours au minimum, le dégagement des gaz ne risquant plus de faire exploser le flacon, le fermer, le stocker au frais et à l’abri de la lumière. Si possible, avec des billes de verre, compléter le volume du flacon.
Comme tous les produits contenant du chlore, l’eau régale se conserve mal, il est préférable de n’en faire que pour un usage précis. Ensuite, allonger d’eau le reste d’au moins 20 fois son volume avant de neutraliser totalement (pH7) son acidité avec une base. On peut ensuite le passer à l’égout sans polluer.
Si vous désirez récupérer de l’or dissous dans l’eau régale, à moins d’opérer par électrolyse, vous aurez votre métal à l’état très divisé. Par exemple, il sera à l’état colloïdal dans une solution de couleur violette si vous le précipitez avec du citrate de sodium ; une lame de zinc le précipitera également sous forme colloïdale. Si vous utilisez de l’acide oxalique ou du sulfate ferreux, vous aurez une poudre brune comme à partir d’une lame de métal.
Uniquement pour information :
Les Anciens obtenaient également une eau dissolvant l’or d’autres façons.
La principale méthode consistait à dissoudre une part de sel ammoniac (chlorure d’ammonium NH4Cl) dans 4 parts d’eau forte, (acide nitrique). Attention, comme il est préférable de chauffer le mélange pour faciliter la dissolution, il faut prévoir de faire face à une forte effervescence. Ensuite, on étend d’eau la dissolution, ce qui donne une eau d’une belle couleur d’or.
On peut mettre de l’or dans l’acide nitrique et y ajouter peu à peu du sel ammoniac pour pouvoir ainsi régler à la demande la quantité d’or dissoute.
Les anciens alchimistes disent que seules les eaux obtenues à partir du sel ammoniac peuvent être utilisées pour sublimer l’or. Au contraire de celles réalisées à partir du sel marin qui servent à le fixer.
Pour la fabrication et la purification du sel ammoniac, se reporter à nos deux articles publiés en 2005.

Toujours uniquement pour information, nous reproduisons un ancien texte sur l’eau régale par l’abbé Nollet.
« Manière de composer une eau régale qui dissolve l’or en plus grande quantité et qui le rende propre à fulminer DANGER après qu’il aura été précipité.
Dans 120 grammes d’esprit de nitre commun, (acide nitrique étendu d’eau) faites dissoudre 30 grammes de sel ammoniac pulvérisé ; laissez reposer cette dissolution dans un vase de verre haut et étroit ; décantez-la doucement quand elle aura été suffisament reposée, et gardez-la dans un flacon bouché à l’émeri. Ne vous piquez pas d’employer dans cette préparation de l’esprit de nitre bien déflègmé, il en résulterait une eau régale sujette à faire crever le vaisseau avec éclat. Pour y faire dissoudre l’or, on le réduit en feuilles très minces, en menues paillettes que l’on jette dans une quantité d’eau régale qui égale six fois le poids de l’or. On aide la dissolution sur un bain de sable médiocrement chauffé à l’aide d’une chaleur douce. Le métal peut être enlevé de sa dissolution par l’éther sulfurique. »

Mise en garde importante :
Dans tous les cas, l’or (comme d’autres métaux) s’il est très divisé devient fulminant et présente un très important risque d’explosion, surtout avec l’eau régale à l’ammoniac.
Songez qu’une simple goutte de mélange séché (donc invisible) dans le cône d’un flacon rodé déterminera l’explosion du récipient, sous l’effet de l’élévation de température localisée et provoquée par la friction des cônes lors de la fermeture du bouchon.
Les explosions des corps fulminants sont très puissantes. Les plus stables de ces corps, comme le fulminate de mercure, servent d’amorce pour les cartouches. D’autres explosent sous le simple frottement d’une plume. Pour s’affranchir de ce risque, quand on veut faire de l’or potable, il faut par précaution, avant de le toucher avec un agitateur, reprendre cet or très divisé par l’intermédiaire d’une huile essentielle de préférence de forte densité, (ail, girofle, bouleau ou cannelle). On peut aussi utiliser de l’huile essentielle de romarin qui retiendra, en devenant dorée, une partie de l’or en surface de l’eau régale et fera précipiter le reste.
Un bon conseil, ne cherchez jamais à faire de l’eau régale avec l’ammoniac. On cite des cas d’explosion sous le simple effet du vent lors du séchage du dépôt.

Une manipulation expérimentale pour vous familiariser avec l’eau régale :
Il vous faut de l’or pour cette expérience. Vous pouvez limer très partiellement un petit lingot de 1 gramme, ils sont à 999,9/1000 de pureté et c’est au poids, l’or le plus économique.
Vous avez peut-être aussi un maillon de chaînette usé, vous devez l’écraser le plus finement possible avant de le couper en menus fragments.
Cependant, vous pouvez, pour cette expérience utiliser de la feuille pour dorure, de très faible poids elle est, au détail d’un coût abordable, bien que ruineuse au kg. Il y a feuilles d’or et feuilles d’or, celles du commerce (des doreurs) comportent la présence de cuivre pour leur donner de la solidité. La pureté est évaluée en carats, l’or pur fait 24 carats et la feuille la plus pure que l’on puisse se procurer fait 23,5 carats. A ce niveau de pureté, il est très difficile de séparer le métal de sa feuille support, il est plus simple dans ce cas de le racler sous forme de copeaux. A l’opposé, on trouve aussi des petites feuilles de 35 x 35 mm de côté qui sont abusivement nommées feuilles d’or alors qu’elles n’en contienne aucune trace et sont réservées (en Orient) à recouvrir les statues en guise d’offrande, comme dans d’autres religions on fait brûler un cierge [image3].
La feuille que l’on peut voir [image 4] fait seulement 16 carats et se manipule facilement, 4 à 5 feuilles suffisent pour l’expérimentation. Donc, n’ayant pas d’or pur à notre disposition, et sachant que seul le cuivre est utilisé comme alliage, il convient de retirer ce dernier en le dissolvant dans de l’acide nitrique [image 5]. Attendre une heure ou deux pour laisser se dégager totalement (à l’extérieur) les vapeurs rutilantes. La liqueur colorée en vert qui en résulte est ensuite fortement allongée d’eau (dulcifiée), vidée (le plus totalement possible sans entraîner l’or). On renouvelle l’acide nitrique au moins deux fois pour obtenir une liqueur parfaitement incolore.
L’acide est ensuite remplacé 3 fois de suite par beaucoup d’eau pour laver les particules d’or ainsi séparées du cuivre. Ces particules ont souvent tendance à flotter sur l’eau, ce qui complique l’opération.
Dans ce cas, nous préconisons de vider l’eau par un siphonage très lent, sans remous, en employant comme mèche une bande de tissu de coton préalablement imbibée d’eau [image 6]. Pour éviter ces problèmes, si vous le pouvez, privilégiez fortement l’utilisation de rognures d’or.

        Maintenant que nous avons notre provision d’or pur et sec, nous en reprenons la quantité désirée avec notre eau régale. On surveille (en extérieur) la dissolution du métal, qui est loin d’être instantanée, en évitant d’utiliser l’acide en trop grande quantité. Protéger l’opération de la trop forte lumière, surtout celle directe du soleil, ainsi que des poussières.
Plus simplement, si vous ne désirez pas passer par le stade de l’or purifié sec et désirez le dissoudre entièrement tout de suite, il vous suffit d’ajouter, en acide chlorhydrique, 3 fois le volume de l’acide nitrique employé en dernier lors de l’élimination du cuivre. Ceci vous évitera les rinçages, mais il faudra laisser la réaction se faire pendant quelques jours sans boucher hermétiquement.
Verser l’eau régale chargée d’or (elle doit être limpide) dans un vase à décanter, sans entraîner les éventuels fragments d’or résiduels [image7]. Ajouter de l’éther du commerce pharmaceutique, (il vous faudra obtenir une ordonnance de votre médecin car nous nous refusons à vous indiquer la manière, simple mais dangereuse de faire votre éther sulfurique).
Utiliser 1/2 fois environ le volume de l’eau régale et retourner 2 ou 3 fois l’ampoule à décanter pour assurer le mélange. La réaction s’effectuant avec réduction de volume, l’ampoule peut rester bouchée.
Vous pouvez voir l’or migrer de l’eau régale vers l’éther qui prend une belle couleur. Comme nous ne disposons pas de pénombre dans notre labo, nous avons fabriqué un cache à partir d’une boîte de conserve [image 8].
Dès que la séparation des liquide est bien visible, on vide lentement [image 9] toute l’eau régale, (le bouchon doit bien enterdu être ouvert pendant l’opération). Pour avoir une certitude d’avoir évacué tout l’acide, il est bon à la fin de laisser passer également deux ou trois gouttes d’éther avec l’eau régale. Pensez aussi à retirer l’acide qui peut rester dans le tube de l’ampoule. On se trouve donc maintenant en possession d’une solution contenant le soufre de l’or séparé de l’acide.
        Si vous désirez expérimenter plus avant (expérimenter et non faire de la pharmacie), nous ne vous conseillerons jamais l’absorption de ce type de produit. Nous réservons nos recettes à usage interne à des produits alimentaires courants sans danger.
        Donc, il est possible, pour se former aux manipulations uniquement, de faire :
Premièrement un sel. Il est préférable d’obtenir du carbonate de potasse (nous dirions Bio car contenant bien d’autres éléments que celui du commerce) à partir de la cendre bien blanche de pieds ou sarments de vigne (soigneusement lavés et séchés pour éliminer les traces de traitements), ou par calcination de tartre des tonneaux. Cette opération peut prendre une dizaine de jour pour atteindre la blancheur. 
C’est le principe Sel.

Deuxièmement, une extraction au soxhlet (à l’alcool de vigne de très haut titre sans oublier les pierres à distiller dans le ballon) d’une poudre très sèche de plante (ou de plantes). Il faut savoir que les Anciens utilisaient dans ce cas un vaste mélange de plantes choisies pour agir en synergie. La quantité suffisante pour une expérimentation peut être limitée au volume de la cartouche disponible. Après un grand nombre de passages, (la coloration de l’alcool sortant du siphon renseigne sur l’avancement de l’opération) on récupère l’alcool coloré, y compris celui mouillant les plantes de la cartouche. Le résidu (des plantes dans la cartouche, calciné au blanc est ensuite joint au sel). 
C’est le principe Mercure.

Troisièmement, la dissolution dans l’éther doit devenir une dissolution végétabilisée grâce à l’alcool de vigne de haut titre.
Assécher l’or en évaporant l’éther à une douce chaleur (près d’un radiateur ou récipient posé sur un bain de sable éteint mais encore chaud). En tous cas, dans un lieu ventilé, et sans risque d’explosion des vapeurs en cas de manipulation d’interrupteur électrique, ou autres causes d’inflammation. Quand l’or semble sec, le reprendre, comme il a été dit, avec un peu d’huile essentielle pour en faire une pâte qui devient ainsi manipulable sans risque.
Laisser reposer une lunaison pour marier le métallique au végétal. Ajouter quelques centimètres cube d’alcool philosophique pour diluer.
C’est le principe Soufre. 

Conjugaison des trois principes :
On fait une circulation de quelques semaines à douce chaleur, du  » mercure  » et du  » sel  » conjoints. Puis en dernier on ajoute le  » soufre « .

Cette  » eau vitale  » de l’ancien temps était ensuite diluée à l’alcool et consommée à raison de quelques gouttes par jour, par cures limitées dans le temps.
Il nous faut rappeler que l’or est un des oligoéléments dont l’homme est le moins carencé et qui peut être un poison quel que soit son mode de préparation.

Conclusion.
Nous vous avons donné l’occasion, si vous vous êtes lancés dans cet exercice, d’utiliser les connaissances acquises au travers des articles précédents, ou pour les privilégiés par la distance, les manipulations effectuées en stage.

Les Amis de l’Alchimie.