LE TARTRE DES TONNEAUX

(Thème de stage).

        Puisque je m’adresse à des novices en alchimie, (les autres n’ont aucune raison de me lire) je préciserai qu’il ne s’agit pas du tartre qui tente de se dissimuler dans vos machines à laver, mais de celui que les Anciens et leurs descendants nomment le tartre des tonneaux.
Ce tartre brut comme on le nomme aussi, est un dépôt cristallin qui se forme sur les parois des tonneaux et surtout des énormes cuves à vin, depuis le regroupement des petites exploitations au sein des coopératives agricoles.
Ce sera notre matière première pour ce qui va suivre.
        Notre but sera de le purifier. Si vous voulez nous quitter ici et prendre un raccourci, précipitez-vous chez le fournisseur de votre choix et demandez-lui ce que vous consommez dans la plupart de vos pâtisseries : meringues, crème chantilly, fleurs en sucre, dans la poudre levante ou les bonbons acidulés, ainsi que dans la charcuterie etc. Ou bien demandez tout simplement du E 336.
Si vous préférez vous servir chez un fournisseur de produits chimiques demandez au choix : de la crème de tartre, du potassium hydrogénotartrate, du tartrate acide de potassium, du potassium bitartrate, du tartrate monopotassique, de l’acide tartareux, du sel de tartre, ou tout simplement du tartre en précisant sa formule chimique : KHC4 H4 O6.
Si vous êtes toujours devant ce texte, vous vous demandez sans doute pourquoi ce produit se dépose ainsi et d’où il provient. Ce bitartrate de potassium, dont le nom a changé si souvent au cours du temps, est préexistant dans un très grand nombre de végétaux et de fruits, le vin en produit beaucoup car le vin est le principal végétal que l’on fait fermenter, et le bitartrate n’est pratiquement pas soluble dans l’alcool pur, alors qu’il est soluble dans l’eau pure (environ 6 g / litre à 20°). Le vin, en gros, c’est de l’eau, de l’alcool, des tanins et autres petites choses qui en font ce qu’il est. Donc suivant le degré d’alcool, au cours de la fermentation, le tartre qui ne peut plus être retenu en solution, se dépose.
La température joue aussi son rôle, ainsi pour éviter que vous découvriez avec horreur, au fond d’une bonne bouteille, quelques cristaux blancs qui ressemblent à du sucre cristallisé (et qui sont cependant la preuve que ce vin n’a pas été chimiquement traité), on refroidit maintenant le vin au-dessous de la température d’usage pour lui faire rendre son tartre. On est loin, de par l’exigence de la mode, des bouteilles intransportables qu’il fallait vider avec la plus grande délicatesse, mais c’est tout de même une pratique écologique.
Pour purifier ce tartre brut, il vous faut plusieurs choses, à commencer par le tartre. Pour vous en procurer, le mieux est d’être client d’un producteur indépendant et de lui demander de vous mettre de côté le résultat du nettoyage de ces cuves et tonneaux. Si c’est un petit producteur il sera généreux avec un bon client, s’il est plus important, il vend ordinairement son tartre parce que la quantité produite rend cette opération rentable.
Il y a peu, on pouvait en discutant, pourboire en main, avec un caviste s’en faire donner dans une cave coopérative. Malheureusement, le détartrage mécanique d’un nombre important de cuves étant fort pénible et coûteux, la chimie est venue remplacer les bras, et c’est une solution chimique complexe qui est ensuite reprise par l’industrie pour sa valorisation et la protection de l’environnement. Les fournisseurs de crème de tartre n’hésitaient pourtant pas à clamer que pour purifier le tartre ils n’utilisaient que de l’eau. Comme je l’espère, vous mêmes bientôt !
Ce problème d’approvisionnement étant astucieusement résolu, je n’en doute pas. Ce tartre, suivant le vin produit est soit rouge, soit blanc. C’est un simple détail, les Anciens parlaient de tartre rouge de Montpellier. On y produisait beaucoup de vin rouge riche en tartre, c’est la seule raison, si l’on en pousse la purification on obtient des cristaux plus que centimétriques et incolores avec l’une et l’autre des deux variétés de tartre.
Il vous faut aussi beaucoup d’eau, exempte de calcaire et si possible des tas de choses que l’on trouve dans l’eau du robinet. Si vous n’habitez pas dans une zone volcanique, pensez à récupérer de l’eau de pluie filtrée, (à l’aide d’un peu de coton tassé dans le tube de l’entonnoir).
Un grand faitout en inox (l’aluminium est dans notre cas une très mauvaise économie, sauf si à terme vous désirez posséder une passoire géante).
Plusieurs cuvettes plastiques carrées (avec si possible encore le glacé intérieur laissé par le moule).
Le principe de la purification est basé sur cette fameuse solubilité dans l’eau.
A 20° nous l’avons vu, elle dissout 5,7 g. de tartre, à 100° elle en prend 61 g., mais seulement 45 g. à 80°.
En tablant sur une différence de dissolution pratique de 50 g. pour simplifier, (nous ne serons pas toujours à 20° ni surtout à 100° au moment du transvasement) nous pourrions espérer ½ Kg de tartre par faitout, ce n’est pas le cas.
En pratique, votre tartre brut contient des tas de choses indésirables, rafles de raisin, peaux et pépins des grumes de raisin, morceaux de bois, de paille, du sable etc. vous aurez enlevé le plus voyant, chiffons, paquet de cigarettes, pierres etc. (je ne plaisante pas).
        Donc le grand jour arrive, c’est très simple, vous garnissez le fond du faitout avec du tartre cassé en petits morceaux (pour que la dissolution soit plus rapide) et vous portez à ébullition dans de l’eau de pluie filtrée, par exemple. La dissolution est lente et le fait qu’il y ait encore beaucoup de tartre au fond ne veut pas dire que votre eau soit saturée. Pendant les 30 minutes minimum d’ébullition vous en profitez pour écumer l’abondante crasse qui monte à la surface (même si vous avez rincé à l’eau froide votre tartre avant l’opération, en se dissolvant, les plaques de tartre libèrent de leurs couches annuelles successives, de nouvelles impuretés).
Vos cuvettes à proximité, et muni d’une louche, (on ne peut pas utiliser les poignées inadaptées du faitout pour verser) vous coupez le chauffage, c’est dommageable pour la température, mais indispensable pour laisser retomber au fond les corps que l’ébullition maintenait en suspension. Une fois le liquide au repos vous remplissez vos cuvettes. Le filtrage à la chausse est à éviter, la solution se refroidi un peu au cours de cette opération et dépose des cristaux qui freinent le filtrage et sont difficiles à récupérer.
Une remarque, dans tous les cas, des cristaux se déposeront au fond et sur les côtés des cuvettes après refroidissement total. Seulement si le refroidissement est très lent, les cristaux seront plus gros et plus facile à séparer de la boue qui se déposera avec. Si vous faite une grosse quantité et que vous avez prévu de faire redissoudre cette première récolte, tout va bien. Une autre solution est d’avoir deux cuvettes identiques l’une dans l’autre et calées de façon à créer un espace entre elles (une double paroi), de poser l’ensemble sur une plaque isolante et de couvrir de la même façon les cuvettes. Vous aurez de plus beaux cristaux. Vous pouvez aussi, sur le principe de la marmite norvégienne, prévoir d’isoler très soigneusement et d’enfermer dans un grand carton votre cuvette de façon à ce que son refroidissement demande au minimum 48 heures.
J’ai à titre expérimental enfermé un bocal de conserve rempli de solution chaude, dans une cocotte-minute remplie d’eau bouillante, posée sur un isolant thermique et entourée d’une montagne de couettes et de couvertures, 10 jours plus tard elle n’était pas encore tout à fait froide et mes cristaux dépassaient les 5 mm.
Vous avez vos cuvettes froides, elles sont recouvertes d’une pellicule mate, qui surmonte le liquide comme le ferait de la crème sur du lait entier ayant reposé. Cette pellicule les anciens la nommaient, par analogie, crème de tartre, ils la récupéraient à part car c’est la partie la plus pure. Vous pouvez faire de même. Ce qui était valable sur de grosses quantités de liquide, génératrices de plaques épaisses, est moins évident à notre échelle et pour ma part je noie cette fragile pellicule dans le liquide pour la joindre au dépôt.
Vous réunissez le dépôt des côtés de la cuvette et celui du fond, vous laissez reposer et vous videz lentement et avec précaution, par un des angles de la cuvette, la partie claire du liquide, sans entraîner la boue.
La partie claire mais colorée, après repos et filtrage est à conserver, car elle est saturée en tartre ce qui la rend incapable d’en reprendre à froid. Il est possible de la filtrer car sa dissolution de tartre étant stable à froid, elle ne bouchera pas le filtre du fait d’une cristallisation intempestive.
Si vous avez au départ fait plusieurs dissolutions avec de l’eau sans calcaire, vous disposez maintenant de suffisamment d’eau colorée mais saturée, ce qui vous permet pour les opérations où vous l’utiliserez d’augmenter de 10% le rendement.
Vous utiliserez un peu de cette eau filtrée pour laver votre tartre resté dans la cuvette.
Pour cela, la méthode est simple et répétitive : ajouter 1 cuillère à soupe d’eau dans la cuvette, bien mélanger la pâte très fluide qui en résulte, tapoter un angle de la cuvette sur une table par exemple. Le tartre se rassemble dans ce coin, surmonté d’une eau sale que vous videz (jetez) sans entraîner le tartre. Vous recommencez le nombre de fois voulu en n’utilisant à chaque fois que le minimum d’eau indispensable pour fluidifier le mélange. Rapidement, vous pouvez en tapotant du bout des doigts le tartre lui-même, sentir qu’il se tasse comme le sable en bord de mer quand l’eau se retire. Vous continuez de faibles apports d’eau que vous évacuez ensuite sale, et assez rapidement votre tartre est nettoyé.
        Ce qui précède semble long, mais en réalité ne demande que peu de temps dès que l’on a pris le coup.
Le rendement ? pour utiliser des unités que je propose à la normalisation, il faut compter 2 à 3 cuvettes pour obtenir un bol de tartre propre.
Si vous avez en vue, uniquement l’utilisation comme fondant pour la stibine par exemple, vous pouvez vous dispenser de ce travail et trier des morceaux de tartre brut, minces de préférence et les écraser au mortier, c’est un peu plus rapide et pénible mais économise le chauffage. Il en est de même si vous voulez en faire du carbonate de potassium, ce qui serait dommage, les cendres en sont une source plus directe.
        La poursuite des opérations, « dissolutions – cristallisations », vous donnera des cristaux de plus en plus gros et blancs. Il est possible, pour des quantités de solution peu importantes et n’ayant de ce fait qu’une très faible inertie thermique, de ralentir la vitesse de « refroidissement – cristallisation » par apport d’un peu de chaleur extérieure.
Après ce long monologue, et les images, j’espère que vous ne m’accuserez pas d’être « envieux ».
Cette prépréparation n’a pas de raisons d’être canonique. Ce qui précède n’est pas un cours, et pour vous, la meilleur méthode est celle que vous trouverez vous convenir.
A vos tartres vitriolés, flux noirs ou blancs, et pourquoi pas la volatilisation de ce minéral très spécial issu du végétal.
P. Melleret

Alchimie pratique.

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