L’antimoine est le seul métal qui puisse être fondu sans perdre son feu intérieur. La transformation de la stibine en oxyde puis en verre (vu dans un précédent article), nous donne une matière pure contenant en son sein les trois principes fondamentaux : le Mercure, le Soufre et le Sel.
I. Rappels sur les trois principes métalliques Soufre, Mercure et Sel.
Le Soufre est l’âme du mixte, il porte les caractéristiques du mixte. Le Sel est le corps. Le Mercure est l’esprit. Le Mercure lie le Soufre au Sel et permet ainsi l’animation et la spécification du Sel.
Le Soufre se présente comme une huile. Le Mercure sous une forme volatile et acide. Le Sel sous une forme de chaux résiduelle. Le Sel apparaît uniquement si l’on a extrait précédemment du mixte le Mercure et le Soufre.
Le Sel permet de fixer, c’est-à-dire de capturer, le Mercure.
Le Mercure du règne métallique est commun à tous les métaux. Du fait de son extrême volatilité, il est extrêmement difficile à capturer. Isolé, le mercure permet d’extraire la teinture des métaux.
Il existe aussi le Mercure Universel, l’animateur du monde, le plus haut Mercure manifesté et non spécifié à un règne. Il peut être capturé par le Sel. On parle d’aimant. C’est le but de l’alchimie.
II. Basile Valentin « Le char triomphal de l’antimoine » On trouve l’opération décrite par Basile Valentin :
« CHAPITRE VI DE LA SÉPARATION DU SOUFRE DU VERRE D’ANTIMOINE ET DE L’EXTRACTION DE SA TEINTURE
Prenez autant qu’il vous plaira du verre d’antimoine, clair et net, et fait ainsi que je vous l’ai enseigné, sans aucune addition d’autres ingrédients, et pulvérisez-le le plus subtilement que vous pourrez, afin qu’il soit presque impalpable comme de la farine. Mettez-le ensuite dans un vaisseau de verre qui ait le fond ou la base plate et forte. Versez pardessus du bon vinaigre distillé, bien rectifié et le plus fort qu’il soit possible. Mettez le vaisseau sur une chaleur modérée, ou bien, en été, au soleil, l’agitant tous les jours deux fois, afin que le tout se mêle ensemble, et laissez-le digérer sur une telle chaleur tempérée, jusqu’à ce que le vinaigre ait pris la teinture jaune et qu’il soit bien jaune tirant sur le rougeâtre, comme de l’or fondu. Cela fait, versez par inclination le vinaigre teint dans un autre vaisseau, et remettez sur la matière du nouveau vinaigre distillé que vous ferez digérer comme la première fois et dont vous extrairez aussi l’extrait que vous joindrez au premier.
Vous remettrez encore du nouveau vinaigre distillé, ce que vous réitérerez jusqu’à, ce que le dernier vinaigre que vous aurez mis sur la matière ne puisse plus attirer aucune teinture. Et alors, prenez tout votre vinaigre teint, filtrez-le nettement et le mettez dans une cucurbite de verre, et distillez le tout entièrement par le bain-marie, jusqu’à ce qu’il ne demeure rien au fond qu’une poudre sèche, de couleur entre rouge et jaune.
Versez par plusieurs fois par-dessus cette poudre rouge et jaune de l’eau de pluie distillée, en en mettant toutes les fois de la nouvelle ; laquelle après vous distillerez. Et par là vous ôterez toute l’aigreur de votre verre d’antimoine. Et il restera au fond de cette distillation une poudre douce et agréable. Vous broierez ensuite cette poudre bien menue sur un porphyre ou autre pierre dure, ou dans un mortier de verre, en observant que la pierre ou le mortier doivent être un peu échauffés auparavant que de s’en servir. Après quoi vous mettrez cette poudre dans un petit matras, sur une chaleur modérée comme auparavant. Et par ainsi la teinture de l’antimoine sera extraite, belle au possible, très rouge et séparée des lies qui restaient au fond du vaisseau, duquel on a extrait ladite teinture par le vinaigre distillé. […] »
Une autre méthode d’extraction est décrite ici par Basile Valentin :
« CHAPITRE VII DE LA MANIÈRE DE FAIRE DE L’HUILE D’ANTIMOINE
Prenez du verre d’antimoine fait sans addition autant qu’il vous plaira ; pulvérisez-le subtilement ; tirez-en la teinture avec du vinaigre distille, et après que vous aurez ôté le vinaigre et dulcifié sa résidence, qui est l’extrait de la teinture, avec du bon esprit de vin, et que vous l’aurez extraite pour la seconde fois, vous l’enfermerez bien dans un pélican et la ferez circuler pendant un mois (c’est-à-dire cette dernière extraction par l’esprit de vin), après lequel temps vous la distillerez toute seule sans aucune addition. Et par cette seule distillation vous aurez un médicament doux, agréable et admirable, en forme d’une belle huile claire et rouge avec laquelle on prépare la pierre de feu. Cette huile est la vraie et meilleure quintessence d’antimoine qu’on puisse avoir, […] »
III. Extraction des trois principes du verre de l’antimoine.
Pour extraire les principes du verre d’antimoine, nous allons utiliser un Menstrum : le vinaigre nitreux ou le vinaigre radical bleu (voir l’article sur les vinaigres). L’avantage du vinaigre radical bleu est la présence de la semence de l’or issue du cuivre en plus de la vie végétale.
Tout d’abord broyez le verre en poudre fine.
Ensuite deux possibilités s’offrent à vous :
• Extraction traditionnelle.
• Extraction moderne au soxhlet.
Nous allons étudier dans cet article la méthode d’extraction traditionnelle.
III.1 Extraction traditionnelle des trois principes.
L’opération consiste à placer la poudre de verre d’antimoine au fond d’un récipient en verre (un grand bocal « le parfait » par exemple) fermant bien hermétiquement. Ajoutez le vinaigre et fermez. Laissez chauffer au soleil (derrière une baie vitrée par exemple) et remuez très régulièrement. Le vinaigre prendra une couleur blanche verte pâle, puis jaune pâle et enfin orangée :
Séparez le vinaigre du verre au fond en versant doucement puis filtrez le vinaigre teinté :
Ajoutez du nouveau vinaigre et recommencez plusieurs fois en rassemblant les extractions.
Pour obtenir suffisant d’extrait, l’opération durera plusieurs mois. Je vous conseille alors de distiller à la tête de maure très doucement la première extraction sans aller au sec en ajoutant dessus la seconde extraction quand elle est devenue orangée. Le distillat recueilli servira à la troisième extraction. Souvent j’ajoute un peu de nouvelle poudre de verre sur le verre déjà extrait. Cela permet de garder une extraction bien colorée. Vous pouvez ainsi poursuivre ce cycle sur plusieurs mois. Parfois le distillat peut sortir un peu jaune, ce n’est pas grave car vous le réutilisez dans le cycle suivant.
Comme Basile Valentin, plusieurs auteurs modernes disent que cette méthode d’extraction ne permet d’extraire que le soufre. Je pense que cela n’est pas entièrement vrai car nous obtenons à la fin de cette opération :
• Le vinaigre concentré de couleur orange contenant les principes Soufre et Mercure mais aussi un peu de Sel.
• Le verre blanc restant contenant le Sel.
III.2 Concentration et neutralisation de l’acide acétique.
Toujours avec la tête de Maure terminez d’assécher très doucement le vinaigre de couleur très rouge déjà très concentré. Vous obtiendrez une liqueur rouge marron au fond du ballon de distillation.
Pour neutraliser l’acide acétique, ajoutez de l’eau de pluie distillée. Remuez puis distillez. Recommencez trois fois.
III.3 Extraction traditionnelle des trois principes du vinaigre concentré.
A présent, vous devez réaliser une distillation sèche. Basile Valentin propose aussi une extraction par l’alcool absolu que nous n’avons pas tentée actuellement.
Reliez le ballon de réception de la tête de maure à un système de barbotage suivant :
• Le premier ballon de barbotage est vide pour éviter un reflux éventuel du second flacon.
• Le second ballon contient de l’alcool absolu pour capturer le Mercure. Le tuyau doit tremper dans l’alcool. Plus tard il contiendra le Sel de l’antimoine pour capturer plus efficacement le Mercure.
• Le troisième ballon contient de l’alcool absolu pour capturer le Mercure éventuellement passé à travers le second ballon. La sortie de ce ballon est à l’air libre.
• Tout le reste du système est relié entre les différents composants sans sortie à l’air.
• L’ensemble ballon de réception et ballons de barbotage est maintenu très froid.
Schématiquement :
Voici le système que j’utilise :
Montez la température progressivement et arrêtez dès que les fumées blanches se manifestent. Il faut faire très attention au risque d’explosion provoqué par la surpression ! Quand la plupart des fumées blanches se sont condensées poussez à nouveau le feu etc… et cela jusqu’à la fin de sortie des fumées blanches.
Veuillez noter l’huile jaune qui se condense dans la tête de maure :
Voici le distillat du premier ballon :
Il contient le Mercure et le Soufre de l’antimoine. Les deux Vins Blanc et Rouge (à venir) des Philosophes.
A noter que les 2ème et 3ème ballons du système de barbotage contiennent aussi du Mercure capturé. Rassemblez immédiatement et conservez le tout au congélateur dans un ballon rodé fermé. Cet alcool devenu spécial sera utilisé pour extraire des teintures métalliques.
Voici l’huile jaune (Soufre d’antimoine) restante dans la tête de Maure récupérée précieusement avec de l’alcool absolu :
Voici les fèces ou Lion Noir qui contiennent un peu de Sel d’antimoine :
Récupérez le maximum de Lion Noir en grattant sans abimer le ballon. Mettez immédiatement de l’eau de javel dans le ballon pour le nettoyer. Laissez 2 à 3 jours au soleil puis finissez de nettoyer doucement avec une tige et un morceau de chiffon au bout. Le Lion Noir est extrêmement corrosif pour la verrerie (surtout pour l’acétate de Basile Valentin).
III.4 Extraction traditionnelle du Sel du Lion Noir.
Broyer et chauffer au creuset à 1100°C le Lion Noir. Il va devenir une poudre ocre :
Ensuite lessivez plusieurs fois à l’eau de pluie distillée la poudre ocre. Rassemblez les lessives et évaporez. Vous obtenez le sel fixe de l’antimoine :
Ce Sel est un aimant au Mercure de l’antimoine. Lors de la prochaine distillation sèche il sera placé dans le 2ème ballon de barbotage.
Il peut aussi capturer le Mercure Universel exposé à la pleine lune de mars, avril et mai les nuits propices. Une huile jaune très précieuse peut apparaitre. Le sel que nous avons obtenu jusqu’à présent du Lion Noir par la méthode décrite n’a encore jamais produit cette huile jaune.
Voici une autre façon d’extraire le Sel du Lion Noir. Chauffez le lion noir à 1300°C (il faut le four adapté) celui-ci va se vitrifier et passer à travers le creuset. Dans ce cas prévoyez une coupelle en terre réfractaire où poser le creuset (éventuellement avec du kaolin). Dès que tout est devenu verre, arrêtez de chauffer. Placez l’ensemble (creuset et coupelle) dans de l’eau distillée pour récupérer en plusieurs fois le Sel fixe de l’antimoine.
III.5 Distillation du distillat pour séparer le Mercure et obtenir le Soufre rouge de l’antimoine.
Distillez très doucement le distillat récupéré à la tête de maure. Le Soufre de l’antimoine reste dans le ballon de distillation et va devenir une huile rouge. Le distillat sera le Mercure. Ce sont respectivement les vins rouge et blanc des alchimistes.
II.1.5 Extraction du Sel fixe de la poudre de verre restante d’où l’on a extrait les principes.
La poudre de verre blanche restante après les multiples extractions à l’aide de l’acide acétique, contient le Sel de l’antimoine.
La notice 50 des LPN explique la méthode d’extraction :
« ADDITION AU TRAITE DES SELS DE BASILE VALENTINUS
De la préparation du sel d’antimoine.
Pulvérisez du bon antimoine de Hongrie, aussi fin que de la farine, et calcinez-le sur un feu de charbon modéré, comme il est fait habituellement. Tout en remuant toujours avec un agitateur en fer, jusqu’à ce que tout soit blanchi et ne fume plus, mais supporte sans problème un feu ardent. Alors placez-le dans un creuset et faites-le fondre jusqu’à obtention d’un verre jaune transparent : concassez finement ce verre ; placez-le dans une cornue en verre, et versez dessus du vinaigre de vin plusieurs fois distillé. Laissez reposer dans une douce tiédeur, et le vinaigre extraira la teinture d’J, et sera coloré très fortement, avec la teinture ; ou bien l’extrait d’J pourra être préparé ultérieurement et être utilisé comme un remède excellent. (Voir Basile Valentinua trium mag.).
Ensuite, lorsque la teinture est complètement extraite, et ne colore plus le vinaigre, séchez alors la poudre qui sera noire, totalement et parfaitement. Broyez-la avec une grande quantité de D jaune, placez-la dans un creuset, et une fois luté, placez ce dernier dans un feu de force suffisante, jusqu’à ce que tout le D se soit consumé. Alors broyez très finement la matière restante et versez dessus un nouveau vinaigre distillé. Extrayez le sel de cette façon, et ensuite, par des distillations successives, éliminez-en l’acidité du vinaigre. Puis, clarifiez le sel avec l’esprit de vin jusqu’à ce qu’il soit brillant, clair et blanc. Si vous avez manipulé correctement, vous aurez obtenu le sel d’J entièrement fixe et actif, bien qu’il y ait une autre façon de préparer le sel d’J qui est expliquée ailleurs. »
A ce jour nous n’avons pas tenté cette opération mais elle nous parait prometteuse. Peut être que ce sel d’antimoine produira l’huile jaune aux nuits canoniques.
Bon travail à tous,
Le 22 avril 2016, Chrysopée (http://chrysopee.url.ph).
Lectures conseillées.
• Robert Allen Bartlett « The way of the crucible ». Ajoutons que c’est un auteur que nous apprécions. Nous avons réalisé la traduction de son chapitre portant sur l’antimoine qui est autant intéressant que pratique. Vous pouvez nous demander cette traduction.
• Notices LPN « Cours d’alchimie minérale » N°15, 16, 18, 21, 25, 39, 50, 77. Ces notices permettent d’aller plus loin. L’ensemble des notices sont téléchargeables gratuitement ici : http://www.portaelucis.fr/html/publications/alchimie.htm